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un voile épais de deuil. Il n’est plus d’imprévu pour moi.

Je ne vis que conditionnellement. Sur toutes les merveilles du monde, dans la corolle des orchis, au fond des eaux, dans les plaines de l’air, mes yeux égarés lisent cette fatale demande : Peux-tu jouir de cela ?

Ah que deviennent tous nos plaisirs quand nous les éclairons au dévorant flambeau de l’analyse ?… Tout autant de tortures !

Hæret lateri lethalis arundo !


L’homme n’exprime bien que ce qu’il éprouve. Si j’ai décrit d’une main si ferme les caractères de décadence de l’Occident, c’est que je me sentais atteint comme lui dans ma vigueur. Hélas ! j’ai vécu mon printemps comme l’insecte éphémère, j’ai tracé mon rouge sillon, pareil à l’éternel éclair. — Courte existence humaine, fatale destinée ! je déchire à belles dents les liens fragiles qui me rattachent à vous.

Hæret lateri lethalis arundo !


Que de fois je la presse contre mon sein, la Désillusion à l’œil mort, aux cheveux rares, la nymphomane blasée qui trépigne sur les robes soyeuses dont elle parait sa charmante jeunesse ! Que de fois elle me tire sa langue blanche et refroidit mes ardeurs !

Quand je la laisse échapper de mes bras, elle erre frénétique, poursuivant les rossignols et les fauvet-