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soient humiliées par les baisers infâmes de la prostitution ; que tes coursiers aux longues crinières, que tes taureaux mugissants et tes fruits de pourpre soient livrés à toutes les convoitises sur les marchés de l’univers !

Il le faut. Avant quelques années aura disparu tout ce qui reste encore des Espagnes. Enfants, vos brillants costumes seront déchirés par le souffle de la mode. Madrid la batailleuse, Madrid la joyeuse, prison de François Ier, remords de Napoléon, tu deviendras comme tes sœurs d’Occident, un repaire de marchands qui vendront ta gloire, ton honneur et ton nom. Ardente Andalousie, tu valseras gravement sur tes castagnettes brisées, et le Guadalquivir n’entendra plus rebondir sur ses rives les divins accords du fandango !

Romps les cordes de ta guitare, vieille Espagne ! Pleure sur l’or des Amériques, sur tes moines pieux, sur Domingo de Guzman, le saint fondateur de la Santa-Hermandad, sur Carlos-Quinto le maître du monde, sur Felipe-Secundo, l’homme bilieux, et sur Torquemada, son aimable compère ! Pleure ton théâtre, tes chevaliers errants et tes vierges brunes ! Encore pleine de vie, te voilà condamnée à mort, accroupie dans les cendres de ta glorieuse tradition !

C’est la loi du Progrès. Que son lourd niveau s’abaisse donc rapidement sur toi. Du sein de la mort relève-toi quelque jour plus puissante qu’aux temps célèbres de ton histoire ! — Et bienheureux ceux qui vivront pour te voir alors !