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Deux fois l’an seulement, lorsque la vile multitude envahit la place, refoulant de sa joie la plate cohue des gens au bel esprit, deux fois l’an seulement, au carnaval et dans les vervenas, on peut encore retrouver au Prado les mœurs castillanes. Mais il faut se hâter de les voir, car elles disparaissent chaque jour.

À Madrid, comme partout, j’ai vécu parmi les travailleurs. Car j’aime l’homme dont la langue est paresseuse et le bras diligent ; j’aime celui qui n’a pas double pensée, double parole, double face, et deux tables, et deux verres, et deux poignées de main ; celui qui reconnaît ses amis dans l’adversité comme dans la fortune ; celui qui ne calcule pas, n’épargne pas, ne cache pas, ne vole pas ; celui qui vit grandement dans sa pauvre sphère ; celui qui s’habille, danse et chante comme le veut la nature. Il n’est plus d’Espagnols que ceux-là, les autres sont des singes. Ce qu’on peut apprendre en les observant ne vaut guère la peine d’aller les voir.


Toutes les promenades des capitales se ressemblent. Je n’entends pas dire que la configuration du terrain soit la même dans toutes. Chacun sait qu’à Londres c’est une grande rue fort régulière, à Vienne un jardin anglais, à Paris une grande route, à Madrid une large allée sans ombre. Mais dans une promenade les découpures du sol sont chose très accessoire. Ce qu’il faut observer,