Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sont brillants, cette arène immense, ce soleil radieux, cette foule enthousiaste et heureuse !

« Mais est-ce là tout ? Ces grandes qualités sont-elles tournées vers un but qu’on puisse approuver ? Je réponds : non. »

Non, il n’est pas bon d’accoutumer des enfants à ces spectacles ; il n’est pas bon de leur faire toucher du doigt des entrailles qui fument et que souille un sable ensanglanté.

L’odeur du sang enivre et cette ivresse est folle. Quand l’homme arrive à sacrifier un animal sans réflexion, sans remords, il s’accoutume bientôt à faire peu de cas de la vie de son semblable. 175 Celui qui s’est essayé à manier la lourde épée trouvera plus tard le couteau bien léger dans sa main.

On dit que les courses de taureaux entretiennent l’énergie du caractère espagnol, sa fougue indomptée, cette puissante haine de toute domination étrangère qui battait dans la poitrine de Viriathe et des femmes de Sarragosse l’invaincue.

Cela n’est pas. Il y a loin de l’audace vaniteuse d’un histrion de cirque au froid courage, à l’éternelle résistance d’un Pélage ou d’un Padilla.

Le premier sait à quoi il s’expose, il connaît le terrain sur lequel il marche ; le coup qu’il frappe à cette heure, il le frappera demain, et s’il est habile dans l’art de tuer, il mourra tranquillement dans son lit. Les seconds, au contraire, affrontent chaque jour de nouveaux dangers ; les blessures, la disgrâce et l’assassinat les suivent ; leur tête est mise en jeu sur cette roue de la For-