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costumes déchirés, les fêtes du peuple 163 se conservent encore comme un témoignage que peut consulter l’histoire, et comme un culte que la génération présente accorde à celles qui l’ont précédée.

C’est ce qui arrive pour l’Espagne entraînée, depuis quelque temps, à toute vitesse, sur la pente rapide que la civilisation parcourt. Tandis que le vent de la révolution balaie sans pitié ses mœurs, sa langue, ses costumes, ses chants et ses danses, ses fêtes tauromachiques se conservent très brillantes encore.

En effet, tout le caractère espagnol est là. La corrida, c’est la grande réjouissance, mille fois plus précieuse au cœur du peuple que les préoccupations politiques qu’il dédaigne, que les bals, le théâtre et les processions religieuses qui tiennent à peine le second rang dans ses distractions les plus chères.

Pour assister à une course, l’ouvrier se passe de manger tout un jour, il vend ses habits, laisse jeûner sa famille, oublie tout. La vertu la plus farouche ne sait pas résister à l’attrait d’un billet gracieusement offert. Le vieillard s’y fait porter, et la mère y conduit ses enfants dès qu’ils peuvent se soutenir. Ce jour-là, point d’intérêts, d’affaires, d’amitiés ou de plaisirs qui tiennent ; pendant les quatre heures que dure la funcion, il semble que le cœur de la capitale se soit retiré de son centre pour aller battre de toute sa force dans un cirque, à l’extrémité des faubourgs.