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exige-t-il que nous nous privions de tout pour capitaliser, ou que nous satisfassions nos goûts ? L’homme est-il fait pour s’immobiliser et se restreindre, ou bien pour se mouvoir et se développer, au milieu des richesses de la terre ?

Les livres, les thèses et les discussions scientifiques ne servent qu’à compliquer ces questions si simples. Que tout homme s’interroge, et qu’il dise s’il fût jamais dévoué, martyr ou avare autrement que par intérêt.

Ami, nous sommes dans les conditions que l’amitié recherche. Nous ne reconnaissons pas d’autorité ; nous sommes des hommes libres. Nos travaux diffèrent, mais ils se valent. En toi je sais honorer l’homme dans les ouvrages duquel je suis l’évolution de la 17 pensée ; tu peux estimer en moi l’écrivain indépendant qui frappe où il lui semble juste, sans mesurer la hauteur de ses ennemis.

Combien d’ouvriers, quand ils ont pris une certaine importance politique, se lassent du travail manuel, et suspendent leur célébrité d’un jour aux crochets d’un parti ! Combien d’écrivains vendent leur réputation d’indépendance à des hommes plus célèbres qu’eux, à des partis violents et injustes, à des journaux que des actionnaires dirigent !

Oisiveté, paresse, parasitisme, telles sont les folles herbes qui croissent sur le sol de l’exil, et que nous n’extirperons pas. Nous pouvons nous apprécier, nous qui avons échappé à tout cela, qui avons oublié et appris quelque chose.