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leurs attachements ne peuvent être déterminés que par le malheur. Et le malheur est une maigre proie pour la convoitise affamée. Les chaînes les plus dures à forger, ami, ne sont-elles pas les plus solides et les plus durables !

15 Frappe le fer, ami, et que, plus rapides que mes heures de solitude, s’écoulent tes heures de travail !

L’ami de l’exilé, c’est l’homme dont l’existence se trouve naturellement rivée à la sienne, dans le présent et dans l’avenir. Entre eux tout est commun : peines, secrets, réprobation, destinée, espérance. Ils ont soutenu les mêmes luttes, essuyé les mêmes outrages, subi les mêmes condamnations. Ils ont partagé chambre, lit, argent, ressources ; ils ont bu dans la même coupe ; et, quand il n’y avait que pour un, chacun n’a satisfait que la moitié de sa faim. Ces deux hommes s’aiment de toute la haine qu’ils portent à la société.

Ami, tu m’es resté quand j’étais abandonné parmi les étrangers, quand j’étais déchiré par les hommes de parti. Tu as connu mes pensées, mes projets et mes amours, tu m’as soutenu dans les épreuves où j’allais faiblir. Quand j’étais malade, tu remplaçais près de mon lit la mère absente ou la maîtresse qui n’osait s’avouer, et tu m’épargnais les regards curieux de l’inconnu. Oh ! celui qui souffre loin de toute figure sympathique rend des actions de grâces à son ami qui le veille,