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ne savais pas qu’en agissant ainsi on s’en fait d’irréconciliables ennemis, si je n’étais pas convaincu de la réalité de ce proverbe civilisé : « Les bons comptes font les bons amis. » Mais je suis instruit de tout cela comme un débitant de denrées coloniales. Je me le répétais 256 chaque fois que j’étais trompé, je me promettais qu’on ne m’y reprendrait plus, et je m’y reprenais moi-même à la plus prochaine occasion. Que je recommence demain à faire de la médecine, et demain je serai de nouveau la dupe volontaire d’une société que j’abhorre et qui ne m’a fait que du mal. Il n’est pas facile de qualifier cette manière d’agir ; — ce n’est pas du dévouement, ce n’est pas de l’égoïsme ; peut-être est-ce du respect de soi-même.

Il résulta de ce mode inusité de procéder que lorsque je fus obligé de quitter le pays, je laissai entre les mains de mes amis des comptes tellement grotesques, qu’il leur fut impossible d’y démêler quelque chose. Qu’on ajoute à cela la délicatesse des débiteurs ; les uns ne m’avaient jamais connu, d’autres ne partageaient pas mes opinions politiques, d’autres trouvaient ma conduite privée très scandaleuse. L’exilé n’est-il pas fait pour rendre service aux autres hommes et pour en être récompensé par les plus grossières injures ? Il n’y a guère que le forçat libéré qu’on puisse exploiter plus impunément que lui.

Je tire de là les aphorismes suivants : Il n’est personne au monde de moins reconnaissant qu’un malade guéri. — C’est rendre un très mauvais