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yeux languissants aiment à se parler dans le grand miroir vert. Sur le banc étroit on se serre pour tenir moins de place, la main qui frémit serre la main qui tremble, l’indicible frisson court les veines. L’idéal, le songe, les univers : la bien-aimée reflète tout cela dans son regard. Et ce regard prend pour témoin le ciel immense, le lac profond. Que les battements de notre cœur sont lents, que notre sang est pauvre quand nous voulons étreindre l’infini.

Il faut voir à Lausanne les fêtes civiques, lorsque les carabiniers luttent d’adresse dans les tirs et que les jeunes filles valsent dans les prairies jusqu’à l’heure où les étoiles pâlissent. Chez nous 253 autres, grands peuples, la musique militaire est confisquée par les gouvernements, on ne sort les canons que dans les jours de bataille. Ici, c’est dans les fêtes que le citoyen se déguise en soldat, et que retentissent les fanfares joyeuses et l’artillerie formidable.

On reconnaîtrait encore aujourd’hui l’exactitude de ce passage des rêveries de Jean-Jacques : « En France, les fêtes et les danses sont tristes, quoiqu’on en dise. Mais en Suisse, tout respire le contentement et la gaieté dans les fêtes. La misère n’y porte point son hideux aspect ; le faste n’y montre pas non plus son insolence. Le bien-être, la concorde y disposent les cœurs à s’épanouir, et souvent, dans les transports de leur joie, des inconnus s’accostent, s’embrassent et s’invitent à jouir de concert des plaisirs de la journée. »