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solitaire, la mort ignominieuse dont vous m’avez montré le chemin. Je n’ai pas à la rechercher, je n’ai pas à la fuir. Ma fierté est rebelle comme la force des gouvernements est logique. Et quand deux volontés aussi inflexibles se rencontrent, il jaillit ordinairement de leur choc un jet de sang.

« Je n’ignore pas que je porte en moi tous les signes des existences éphémères. J’aime la femme et l’enfant, deux êtres qui promettent la vie dans l’avenir, mais qui n’en jouissent pas dans le présent. Je m’épuise dans des songes de bonheur infini, dans l’immensité des contemplations futures. Tandis que les jouissances civilisées me laissent froid et que je ne me baisserais pas pour les ramasser, si elles étaient mises à mes pieds. Je n’appartiens pas à ce siècle ; je vis au milieu de lui, mais je ne suis mêlé à aucun de ses intérêts bornés ; je rêve l’amour plus beau, les femmes plus aimantes, les hommes plus libres. Ma vie d’ostracisme et de solitude n’est pas aussi pénible pour moi qu’elle le serait pour tout autre. Je suis mort civilement, mort à la joie, mort au bonheur ; mais je vis de cette mort.

La fièvre de la liberté et de l’amour me consumera sans que j’aie connu ni la liberté ni l’amour. Le démon de la poésie qui me tourmente m’entraînera sans que je sache rien de la poésie de l’avenir. Et je n’aurai d’autre ressource contre mes angoisses que de les observer et de les décrire. J’aurai entrevu la justice et l’ordre, mais ils tarderont trop à venir pour moi.