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un modèle pour les opprimés, un remords pour les oppresseurs, une continuelle provocation. Cet homme avait donné un trop grand exemple ; il fallait qu’il mourût. On crut le faire oublier en le coupant en deux ; on crut salir sa mémoire en faisant chanter son arrêt par les crieurs publics ; on crut l’amoindrir en le raccourcissant.

Ombre glorieuse ! pourquoi ta pensée me poursuit-elle ? Pourquoi, de tous mes contemporains, ne puis-je admirer que toi ? Pourquoi, de toutes les révoltes qui nous agitent depuis tantôt six ans, la tienne seule me paraît-elle s’élever à la hauteur d’une 239 Révolution ? Pourquoi, dans cette mer rouge qu’alimentèrent tant d’autres veines, vais-je toujours cherchant quelque strie de ton sang ?

Pressentiments sinistres, images de mort, que me voulez-vous ? Je ne puis plus entendre le chant de l’oiseau des clochers qui s’entretient avec les morts ; je ne puis plus voir, au milieu des escadrons, le cheval qui se cabre et mord, et que son maître égorge parce qu’il a mis le désordre dans les rangs. L’avenir me semble tendu d’un voile de deuil. Funestes apparitions, laissez-moi !

J’entends des voix d’enfants qui m’appellent doucement : « Les hommes, disent-elles, n’aiment pas ceux qui voient trop loin dans l’avenir et trop profondément dans leurs intrigues. Nul n’est prophète dans son pays, et toujours les prophètes ont été lapidés. C’est en vain que tu travailles, ta voix sera perdue dans le désert que ta fierté s’est créée au milieu des hommes. Laisse le temps balayer