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grandissent et repoussent d’autant plus vite qu’on les arrose avec plus de sang. En exécutant, vous détachez une tête d’un corps ; vous ne réparez rien, vous ne guérissez rien, vous ne redressez rien. C’est une singulière façon de détruire les herbes mauvaises que de les faucher et de ne pas même songer qu’elles ont des racines.

Si la grâce de l’arbre patibulaire est tellement efficace, si sa vue est tellement salutaire, comment donc ne nous a-t-il pas rendus tous excellents depuis le commencement des siècles ? Et pourquoi n’en fait-on pas dresser sur toutes les places ? S’il peut tout remplacer, pourquoi ne rase-t-on pas les fabriques, les musées et les bibliothèques, et n’élève-t-on point sur leurs débris de gigantesques potences ? Il faut oser dire de toutes les institutions ce qu’Omar disait de la bibliothèque d’Alexandrie : ou elles contiennent autre chose que la guillotine, et alors il faut les brûler ; — ou elles ne contiennent que la guillotine, et alors il faut les brûler encore. Et il faut oser faire ce que fit Omar, et présenter aux fidèles civilisés une machine à Guillotin pour Koran. N’est-il pas honteux pour une société d’avouer que la guillotine est son évangile, et que les autorités qui en tirent la ficelle sont ses dieux ? Qui se douterait que ce nôtre dix-neuvième siècle est le plus humain, le plus doux, le plus éclairé de tous les siècles ? Boutiquiers, je vous plains, vous ne savez pas ce qui se prépare… Mais je ne vous pardonne pas.