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reprocherais chaque jour ma vie, moi qui n’avais qu’un mot à dire pour conserver cet homme, et qui ai refoulé ce mot au fond de ma gorge sèche. Toutes les nuits j’entendrais le piétinement des chevaux, le cri des gendarmes, l’affreux rire du bourreau, la lourde charrette, le grincement du couperet dans ses rainures, les dernières paroles du condamné et sa tête qui rebondit sur le pavé. Longtemps, longtemps je verrais ces cheveux sanglants, ces orbites pleins de terre et de gaz des fosses qui s’allument et tiennent lieu de regards. Il me semblerait que ma tête pend sur mes épaules, et que je me noie dans une flaque de sang. Jamais plus je ne permettrais à mes enfants de m’embrasser, moi qui suis cause que d’autres enfants ne peuvent plus embrasser leurs pères.

— Enfin, voulez-vous faire un exemple ? Mais, comme dit Victor Hugo dans ses rares moments de franche révolte qui l’inspirent si bien : « Est-ce bien sérieusement que vous croyez faire un exemple quand vous égorgillez misérablement un pauvre homme dans le recoin le plus désert des boulevards extérieurs ? En Grève, en plein jour, passe encore, mais à la barrière Saint-Jacques ! Mais à huit heures du matin ! Qui est-ce qui passe là ? Qui est-ce qui va là ? Qui est-ce qui sait que vous tuez cet homme là ? Qui est-ce qui se doute que vous faites un exemple là ? Un exemple pour quoi ? pour les arbres du boulevard, apparemment.

« Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions