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La tache de sang est bon-teint, elle est vivace, elle revient et grandit ; elle vous aveugle, vous assourdit, vous étouffe et vous donne le délire ; vous la portez à votre boutonnière, dans vos parures, dans vos cheveux ; lèpre mortelle, elle va toujours s’élargissant, s’élargissant… Vous dégouttez le sang, vous faites horreur !

Je vous défends de toucher à ce mort. Depuis tantôt trois ans qu’il est couché sous la terre lourde, vous ne lui avez porté ni couronnes de lauriers, ni fleurs, ni larmes ; pas même une branche de cyprès ; vous n’avez pas consolé sa famille, vous l’avez laissé déchirer, lui, par les enfants, et la populace et les chats-huants du journalisme, comme un assassin vulgaire. On a couvert d’immondices l’herbe sous laquelle on suppose qu’il gît. Car vous ne savez pas même où l’ont enfoui les exécuteurs des hautes œuvres. Et quand, au jour de la justice éternelle, il se relèvera, vous refuserez de le reconnaître dans un tronc rogné qui portera par la bouche une tête sanglante !

Ô la plus bourgeoise, la plus odieuse, la plus misérablement poltronne de toutes les sociétés ! Si tu touchais à ce mort, tu le souillerais. Cette race-là parle de dévouement, de vaillance et de gloire ! Et elle a laissé dépecer, déchiqueter, hachetter par trois bourreaux le plus vaillant des hommes ! sacrifiez donc à ce monde-là vos travaux, vos veilles et votre existence : il ira se divertir à votre exécution… C’est monstrueusement hideux !…