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l’ombre d’un meurtrier de celle d’un héros. Et moi, je confondrai ces deux ombres également glorieuses. Comme Tell, Montcharmont mourut pour défendre la Liberté ; comme Tell, il revendiqua seul, parce que tous les hommes qui l’entouraient étaient des lâches, parce que les autorités et les lois d’à présent sont conjurées contre le Droit.

Les balances de la Justice ne sont fausses que dans les prétoires. Devant l’éternelle Équité, les agents français qui interdirent à Montcharmont l’exercice de la chasse sont aussi criminels que l’agent 208 autrichien qui voulut forcer Tell à se découvrir devant son chapeau : ils méritèrent aussi justement la mort. Dans les monts d’Helvétie, une révolution répondit au sifflement de la flèche de Tell ; dans les plaines de la France civilisée le coup de fusil tiré par Montcharmont n’éveilla pas d’écho. Voilà toute la différence entre ces deux hommes. Voilà pourquoi l’ombre du chasseur de Saône-et-Loire se traîne aux rivages sombres, chargée d’ignominie, tandis que celle du Libérateur plane brillante sur les générations.

Cynique sarcasme, infâme dérision que l’opinion des hommes ! majorité, violence, impudeur ! Le fait accompli sanctifie tout. Ils font des tragédies, des opéras en l’honneur du Dieu Tell qui, s’il eut échoué, serait un vagabond, un réprouvé !

C’était un réprouvé, un assassin, ce Montcharmont : voilà ce qu’ils répètent à l’envi comme des oies qu’on mène aux pâtures. Et moi qui ne suis