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La nuit est venue. Dans le silence de solitudes que jamais l’homme ne sonda, sous la masse des eaux, l’archange des tempêtes s’éveille. De sa main il secoue sa longue chevelure, il frappe de son pied le marbre, et des souterrains humides jusqu’aux crêtes des monts perdus, l’immense abîme s’ébranle frémissant. D’abord le génie promène sa colère au fond du gouffre, précipitant le cours des torrents. « À moi, sources, vagues, écume, s’écrie-t-il ; bondissez, dressez vos langues furieuses ; léchez, écorchez les rocs qui vous emprisonnent ! Vous avez congé toute cette nuit. » Puis, s’élançant du fond du gouffre, il arrive à la surface, rapide comme la pensée. Alors vous eussiez entendu se plaindre les couches d’eau qu’il traversait ; alors vous eussiez distingué son cri qui se prolongeait sur la plaine liquide, et le battement de ses ailes qui se mêlait au clapotement des flots.

À sa voix, les vagues s’étendent, d’abord tout de leur long comme des athlètes qui déplient leurs membres avant la lutte. Puis, elles s’entrechoquent sur les bords, puis elles se rapprochent, s’atteignent, se dépassent, s’élèvent, s’abaissent, se renversent et se mutinent. La guerre est allumée partout. Les escadrons aqueux se pressent, s’entassent, se cabrent, galopent et se chargent avec furie. Au loin jaillit la bave ; les mille clameurs des vagues se 204 heurtent dans l’air. On dirait les millions de râles d’un champ de bataille, la récréation délirante d’une cour d’aliénés, les