Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/356

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cimes les plus hautes. Le goëland pousse des cris sinistres, et le vent tord son aile. Les éclairs ont peine à traverser l’épaisseur des ténèbres. La foudre gronde d’échos en échos dans les monts sourcilleux. Déjà le ciel et l’eau s’embrassent dans un frénétique transport. Le superbe Gessler veut tenter le ciel qui le poursuit ; il fait signe à sa suite d’exécuter ses ordres. — Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre.

203 Les soldats se penchent pour serrer les chaînes autour du corps de Tell. En ce moment le Waldstætten rugit, comme un tigre qui s’éveille.

« Il est inutile de me meurtrir davantage, dit Tell. Ne voyez-vous pas que le lac se fâche, que déjà l’eau nous envahit, et qu’il n’y a plus ici que des hommes suspendus entre la justice de Dieu et la vengeance de l’abîme. Retirez-vous, malheureux ! — Mon très gracieux seigneur, vous paraissez souffrir plus que moi. C’est que Dieu est plus fort que vous et votre empereur ; reconnaissez votre maître. »

Les soldats se retirèrent. Gessler demeura foudroyé.

Alors Tell : « Ô lac bien-aimé qui berças ma jeunesse ! Tu aimes le chasseur et le berger ; tu respectes ma rame, tu entends ma voix. Merci, merci ; mon Waldstætten, jamais tu ne me parus plus beau ! » Et les ondes dociles vinrent baiser ses pieds, car le lac aimait Tell et refusait de le porter à la prison et à la mort, sous les ordres d’un bailli d’Autriche.