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mes d’armes. Il était irrité de la joie 196 des paysans et des volées des cloches qui la redisaient au ciel. Aux portes d’Altorf, il rencontra Guillaume qui se rendait au tir, comme il avait coutume de faire les jours de repos. Tell était bien connu dans la contrée, et quand il passa, les hommes de la suite de Gessler dirent : « Celui qui vous salue si fièrement, seigneur baron, c’est Tell, l’archer de Bürglen ». Le regard du gouverneur autrichien rencontra celui du chasseur ; le premier était envieux, le second était calme. Le plus fier des hommes libres et le plus haineux des courtisans s’étaient mesurés par la pensée. Dès lors, il était évident que l’un des deux était de trop sur la terre, et qu’il périrait de la main de l’autre.

Tell le comprit ; on ne le vit pas au tir ce jour-là. Mais il regagna sa maison, prit l’aîné de ses fils avec lui, et le conduisit au haut du Grütli. Quand ils y furent parvenus, le père étendit la main dans la direction de l’Orient et dit : « Enfant de mes chères amours ; je t’ai donné l’existence au sein des montagnes, je dois t’enseigner à la conserver libre, comme un montagnard.

« Par delà la Gemmi désolée, le Simplon, et le Saint-Gothard, aimé des fiers Grisons, bien loin, bien loin, vois s’élever des nuages de fumée. Cette fumée vient des grandes villes ; elle monte de leur sein avec les sanglots de ceux qui souffrent, les joies impudentes de ceux qui torturent, avec