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naissant : elles le regardent passer comme un jeune fou. Ce n’est que dans le milieu du jour, lorsque l’astre souverain mûrit les moissons des plaines, qu’elles frissonnent, les beautés froides, dans les profondeurs de leur âme, et que les lacs, confidents de leurs douleurs, savent ce que leur dédain cache de larmes amères.

C’était à ces heures que Tell parvenait au faîte des Alpes. Alors il se penchait vers la terre, cherchant çà et là des vestiges de pas, il suivait le fétu de gramen emporté par la bise, il interprétait tous 195 les signes que l’expérience lui avait révélés depuis longues années. Et puis il tendait son arc et attendait le chamois. Et quand l’animal bondissant passait à la portée de sa flèche, jamais sa dent tranchante ne broutait plus les tendres pousses de l’arbousier.

Quand les chasseurs rentraient le soir à l’heure où les grands feux brillent sur les cimes, et qu’ils étalaient leur butin sur la place de Bürglen, on reconnaissait parmi toutes les autres les bêtes qu’avait atteintes le fer de Tell. Elles portaient une large blessure au défaut de l’épaule, elles avaient le pied sec et la corne forte. Depuis longtemps ces chamois-là ne quittaient plus les régions des nuages ; c’était parmi les plus vieux et les plus forts que choisissait l’archer. Et lorsqu’il n’avait rien tué, la trompe d’Uri ne retentissait point dans la vallée sonore, car il n’y avait pas dans la contrée plus grand chasseur que Guillaume Tell.