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Rien n’est favorable à l’évolution de la pensée comme le rapide trajet d’un bateau à vapeur au milieu d’un grand paysage. Les tableaux s’offrent ainsi, l’un après l’autre, à notre vue, et l’esprit classe rapidement les impressions qu’ils font naître en lui. Nous les comparons, et sans nous fatiguer, nous avons acquis une notion générale du pays. Nous avons rapproché les temps et les distances ; nous nous sommes fait une philosophie de l’histoire beaucoup plus profitable que celle du Collège de France.

Le Wadstætten, le beau bateau, gronde toujours contre la vague qui s’incline. Toujours il avance, glissant de sa carène de fer sur le miroir du lac, comme un patineur sur un pied glacé.

Que de merveilles ! voici la Croix-du-Lac, symbole du catholicisme qui brilla sur ces peuples comme sur ces ondes, étendant ses immenses bras vers les quatre points cardinaux. — À droite, la tête brumeuse du mont Pilate attire les regards des nochers qui lisent, sur sont front irrité, la tempête prochaine. — À gauche, sur les flancs escarpés du Righi, je distingue les touristes à la mode gravissant péniblement le rocher, pareils à la vermine qui s’esbaudit sur le corps d’un géant. Pauvres gens, que peuvent-ils comprendre à ces grands souvenirs de liberté ? — Au pied du Righi, s’élèvent les derniers vestiges des châteaux de Hapsbourg et de Küssnacht, résidences des seigneurs de la contrée : le hibou, qui pleure ses maîtres, habite seul ces décombres. — Et puis, voyez-vous