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contre la nature se 168 montrent si faibles contre les sociétés ? — Serait-ce qu’habitués à lutter contre des obstacles gigantesques, ils se font une idée trop redoutable de la puissance des rois et des armées ? — Serait-ce que les grands monts nous rapetissent en limitant notre horizon ? — Serait-ce que l’homme désespère de se faire entendre quand la voix de la tempête elle-même ne peut s’élever jusqu’au sommet du gouffre qui le retient prisonnier ? — Serait-ce enfin que l’esclavage ait déprimé ces populations pour toujours, et que le duché de Savoie ne puisse jamais échapper à la blanche main des successeurs d’Humbert ?

Quoiqu’il en soit, la pauvre terre pend, sanglante, aux griffes du lion de Carignan ; les employés piémontais s’engraissent de ses dépouilles ; des religieux rapaces se taillent des robes d’hermine dans ses haillons. Au milieu de chaumières inhabitables s’élèvent des églises monumentales et des presbytères somptueux. Les vautours et les prêtres à tête pelée se sont répandus dans ses campagnes.

Dans les forêts, l’ombre des églantiers arrête le développement des jeunes chênes. Parmi les peuples, les armées des grandes puissances s’opposent à l’indépendance des petites. Au milieu des sociétés civilisées, le pouvoir des grands fait la misère des petits. Mais le jour vient où les bois sont défrichés, où les empires se démembrent, où les rois chancellent sur les trônes. Alors seulement, les jeunes pousses, les nations faibles et