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veur d’un écu, l’homme des cités supplante partout l’homme de la nature ; déjà l’air des monts est confisqué par les phtisiques. Bientôt les herbes des champs seront étouffées sous les bouquets des fleuristes, et l’on cachera le mesquin panorama du Mont-Blanc derrière quelque chiffon sali par M. Langlois. — À quoi bon le nécessaire quand on possède le superflu ?

Comme les chairs rapprochées des os sont les plus succulentes, ainsi la terre de Savoie qui recouvre les pieds des Alpes est la plus fertile des terres. Elle produit en abondance le froment qui nourrit l’homme, le vin qui le console, et le sapin qui répand la gaîté dans les foyers. Ses entrailles regorgent de houille et de fer, et ses pâturages sont foulés par de nombreux troupeaux. Le Rhône n’est fleuve que quand il a reçu ses rivières. Les plus élevés des monts forment son sceptre éternel. C’est elle qui fournit à l’armée piémontaise ses meilleurs soldats.

Et cependant, ce beau pays ne semble pas avoir le droit de s’appartenir. Tous les grands empires l’ont compté dans leurs domaines ; hier il était français, aujourd’hui le voilà de nouveau sarde, il voudrait demain retourner à la France. Les hautes puissances en disposent comme d’un terrain vague qu’elles jettent en dot aux princes. Ses habitants eux-mêmes seraient au comble du bonheur si on les consultait sur le choix de leurs maîtres.

Comment se fait-il, que des hommes si forts