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vivre aujourd’hui que son ingrat labeur, de minces économies et la probité !

Séculaire injustice ! Est-il donc, parmi les hommes, des races destinées à devenir la proie des autres, et consacrées, comme les passereaux, aux festins des autours ?

Les Savoyards portent la force dans les villes, ils y vont pleins de santé ; ils y recueillent la maladie, ils en reviennent livides. Un grabat, l’abri d’une porte-cochère, les dernières des tavernes : voilà la part que les capitales leur font dans leurs richesses. La mauvaise 167 nourriture, les lourds fardeaux, le froid, la pluie, les boues épaisses courbent leurs corps avant le temps et maigrissent les muscles de leurs bras. Le mépris et le dédain torturent leurs âmes bienveillantes. La fosse commune est leur lit de repos.

Et quand les habitants des villes s’abattent sur la pauvre Savoie, comme des bandes de sansonnets gloutons, ils y trouvent la fertilité, le bien-être et la joie. Ils y trouvent des gens hospitaliers, de bons hôtels, des eaux salutaires, du poisson et du gibier frais, de la crème et du lait non fraudés, et des fruits mûrs. Pour les accueillir, les jeunes filles se parent de dentelles, les routes sont jonchées de fleurs, et l’on suspend au front du Mont-Blanc une couronne d’épis d’or.

En sera-t-il toujours ainsi dans le monde où nous sommes ? Verrons-nous longtemps encore, la santé s’humilier devant la maladie et le robuste travail subir les lois de l’oisiveté débile ? À la fa-