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seigneurs ; vous avez droit de vie et de mort sur nous !

On se porte sur votre passage pour voir ces visages blancs et roses, ces grosses lèvres, ces physionomies muettes, ces regards indécis, ces fronts bas, ces masses de chairs flasques qu’on chamarre d’habits rouges et de colifichets, qu’on apprend à saluer tout le monde, et que l’on nomme des rois !

Salut ! vous êtes grands. On vous place sur des trônes, vous portez couronne en tête et guirlandes d’abcès froids au cou !

Salut ! majestés, altesses, grandeurs, trônes et puissances ! Épuisez la coupe des fades voluptés ; étourdissez-vous au bruit des fêtes et des spectacles ; dépensez, comme vous le pourrez, une vie qui vous pèse et que vous gagnent, avec tant de peine, les millions d’hommes qui travaillent !

À vous les châteaux crénelés au bord des grands fleuves, les serres chaudes et les jardins où fleurissent les plantes rares ! À vous les forêts sauvages, les coursiers légers, les meutes de chiens avides, et les fauves qui fuient devant eux ! À vous les poètes et les artistes qui vous prodiguent leurs leçons sans vous transmettre leur génie ! À vous les longs convois que la vapeur entraîne, et les télégraphes qui font courir la pensée dans l’air ! À vous les vaisseaux du haut bord dont la mer est sillonnée ! À vous les jeunes hommes armés en guerre ! Et les vierges tremblantes que leurs mères ont vendues aux mystères de vos nuits