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la nuit profonde ; venant de loin, le rude chant du batelier savoyard me paraissait suave comme la voix d’Ariel dans le concert des mondes.

Il a sonné minuit. Allons, la barcarolle ! gondolier de Venise ; l’humide Adriatique est altérée de chansons. Accorde ta guitare, fils de la vierge sainte[1], Andalou de Séville ; ta maîtresse a paru sur le balcon, elle éteint au fer glacé l’ardeur 144 de sa joue brûlante. Vierges du Mecklembourg, appuyez-vous sur les bras de vos blonds fiancés, comme les pavots sur les épis du froment, allez avec eux baigner vos pieds blancs dans la verte Baltique. Et vous, mes frères d’Allemagne, étudiants héroïques ! la police a fermé ses paupières d’orfraie : versez dans les coupes ciselées les flots d’or de la bière ; passez la longue épée à travers vos toques militaires ; fichez-les au plancher, et dansez autour en chantant : mort aux tyrans !

Oh ! l’univers ! les grands fleuves qui roulent à travers les plaines avec leur cortège de rivières ! Les grands monts qui réchauffent leurs racines dans les feux infernaux et qui rafraîchissent leurs cimes chevelues dans les nuages des cieux ! Oh ! le monde, la ruche humaine, les cités bruyantes, les paisibles hameaux, le céleste Orient, l’Occident plein de rêves, l’Équateur brûlant et les Pôles glacés ! Oh ! l’air, l’espace, l’extase, l’infini, l’éternel, la Liberté !… Qu’es-tu mortel pour embrasser tout cela ?

  1. Somos hijos de Maria Santissima. — Nous sommes les fils de la très-sainte Marie. — (Dicton d’Andalousie.)