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vieux chiffon qu’on passe sur les tables de jeu.

C’est au café que prennent naissance ces querelles frivoles qui ne se terminent que trop souvent par des morts lamentables. C’est au café que les jeunes gens grisonnent, et que les vieillards blanchissent en quelques saisons. Aux portes veillent la Dispute aux joues rouges, la Dénonciation câline, le Désespoir chauve, la Trahison avec son stylet, le Meurtre aux longues dents, la Dette aux doigts crochus, et l’épileptique Jeu, souriant aux habitués et les provoquant de l’œil.

Pour ces hommes il n’est pas de saisons ; ils ne savent pas les brises embaumées du printemps, les nuits d’été dorées par les étoiles, les matinées d’automne argentées par le givre, et les soirées d’hiver empourprées par le feu des sarments. Ils n’ont jamais vu les plaines d’épis, étendues, comme des camps de drap d’or, sous les terribles rayons du soleil levant ; ils n’ont pas vu le pied du vendangeur fouler les grappes mûres, et s’il n’y avait qu’eux pour les aller chercher, les fruits pourriraient sur les branches des arbres. Pour eux, pas d’affections ; pas d’amour. Ils ne connaissent pas les caresses des femmes, la joie des enfants, les confidences des amis. Ils ne peuvent rien produire, rien admirer, rien rêver, ceux qui déposent leur âme au fond d’un verre d’absinthe.

Montrez-moi des pourceaux dans une étable, mais ne me faites pas voir l’homme, ce roi superbe de la nature, passant sa vie dans une salle de douze pieds carrés, fumant comme un tuyau de locomo-