Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Il n’y a pas de méchants dans le monde ; il y a seulement des hommes inoccupés. Il n’y a pas de passions mauvaises ; il n’y a que des passions déclassées. Il n’y a pas d’autre vice sur la terre 122 que l’oisiveté. Quelle aveugle fureur pousserait donc les hommes à piller et tuer leurs semblables, au risque de la potence et des chaînes, si leur activité était dirigée vers des travaux utiles, et si ces travaux les faisaient vivre ? Les fauves seules ont de pareils instincts, et les fauves périront avant nous, car leurs races disparaîtront le jour où l’homme aura résolu de les exterminer.

Oisiveté ! source croupissante où tout vice prend racine, mère maudite d’enfants désespérés ! D’où nous es-tu venue ? Du rut de deux lézards endormis, d’un bâillement de Proserpine, d’une angoisse de Tantale, du tremblement des déserts stériles, du soulèvement des vagues, des tempêtes, ou du choc des mondes dans le sein du chaos ? Quel semeur réprouvé te planta ? Entre quelles pierres se cramponne ta maigre racine ? C’est toi, la courtisane, aux cheveux qui frisent sans art, aux yeux à peine entr’ouverts, qui, du soir au matin, étends dans les boudoirs ta coquetterie languissante. Tu attires l’homme qui flâne, tu l’endors sur ton cou de Sirène. Et quand il est à toi, tu le traînes par les cheveux sur la poussière des villes industrieuses, tu écrases avec son corps les fourmis, filles du travail ; et tu le pousses, de ta main potelée, dans les tavernes et les estaminets qui fument, ou dans les antres de l’infamie.