Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fable parlent si puissamment à notre imagination. Triste destinée que la sienne ! Avoir passée toute sa jeunesse à semer le bonheur autour de soi, et ne recueillir au temps de la moisson que des épis amers ! Comme elle ressentait cela ! Comme elle attisait le feu ! Comme elle prenait plaisir à creuser dans sa propre douleur ! Fatiguée du monde, ne voulant plus voir personne, elle recherchait la mansarde la plus haute, et le chalet le plus caché.

Cependant sa santé délicate s’affaiblissait chaque jour sous des angoisses si profondément ressenties. Elle toussait constamment de cette petite toux sèche qui met la poitrine en feu. Des fraîches couleurs de son visage il ne lui était plus resté que ces deux taches d’un rose bleuâtre qui se fixent sur les pommettes des malades comme pour insulter à leurs souffrances. Ses grands yeux noirs étaient entourés de deux grands cercles noirs. Matin et soir elle tremblait la fièvre ; à la voir marcher, manger et vivre, on se sentait pris de peur comme lorsqu’on songe aux revenants.

Pourtant elle allait toujours, elle luttait de toutes ses forces épuisées pour ne pas trop effrayer les affections qui veillaient sur elle. Et puis, vaincue, elle cédait tout à coup, se couchait, et son mari venait me chercher pour lui donner mes soins. Je me rappellerai toujours la bonté de cet homme. Il ne quittait pas le lit de la malade, plus attentif, plus tendre que la plus tendre femme ; il parlait bas, marchait nu-pieds, et ne lisait plus même son cher journal pour ne pas faire de bruit