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public ; mais quelquefois le soir, dans un café borgne, lorsque le vin les avait enhardies, des mains hésitantes 115 s’approchaient de leurs mains. Et puis, quand on vit que ce n’étaient pas des géants, qu’ils ne se jetaient sur personne, qu’ils n’écorchaient pas les enfants, qu’ils payaient régulièrement leurs pauvres dépenses ; quand on se fut bien convaincu qu’à l’instar de tous les gens inoccupés, ils bâillaient pour se réveiller, parlaient pour n’en pas perdre l’habitude, enfonçaient les mains dans leurs poches, écartaient les jambes, tendaient le cou et prêtaient l’oreille ; quand les imaginations ne furent plus frappées du bruit de leurs conspirations colossales : — alors on ne les estima même plus dignes de cette vague curiosité qui agite les grandes villes. Les fenêtres se refermèrent, les enfants reprirent leurs jeux, les promeneurs se risquèrent à les approcher ; le vide et le silence s’organisèrent autour d’eux.

Que les journées leur semblaient longues ! Le matin ils tournaient leurs regards vers l’Orient où la Hongrie vaillante se levait chaque jour pour de nouveaux combats. Puis, ils les reportaient vers le sud, où le lion de Venise se défendait encore contre l’aigle de Hapsbourg. L’après-midi ils parcouraient avidement les journaux, espérant toujours de meilleures nouvelles, et n’y trouvant jamais que la relation de nouveaux malheurs. Le soir, fatigués de n’avoir rien fait, ils allaient à la rencontre du bateau à vapeur, qui leur apportait à chaque voyage de nouveaux compagnons. Les