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Mais garde-toi d’admirer la femme d’aujourd’hui, garde-toi de l’aimer, et surtout de le lui dire. Car elle n’est pas belle comme la statue antique ; elle ne pleure pas comme la gazelle ; elle ne s’incline pas, comme le lys, sous une haleine brûlante ; son cou n’est pas flexible comme celui du cygne ; elle n’a ni l’attachement du chien, ni l’ardeur du cheval, ni le bon sens du livre ; elle porte des cheveux teints et des dents postiches.

Ce jour-là, j’entendais au loin les chants du laboureur et du vigneron qui tourmentaient la terre, le refrain du ranz-des-vaches entonné par le pâtre matinal, et les hymnes de liberté que, du sein des chalets, les horlogers faisaient monter vers le ciel. Dans les montagnes qu’il aimait, je croyais voir encore le malheureux Jean-Jacques errer avec un livre et des plantes à la main.

L’abeille volait de fleur en fleur ; la fourmi diligente épuisait sa faiblesse sur des brins d’herbe sèche ; l’araignée vorace tendait ses filets.

Tout butinait, tout travaillait, tout cherchait sa vie dans la vie commune ; la nature elle-même s’éveillait avec peine, et le soleil ne paraissait encore que comme un éclair au milieu des nuages qu’il devait dissiper plus tard.

Et je me consolais à penser que, lorsque tout fait défaut à l’homme, illusions, gloire et amour, il lui reste encore le travail, refuge des fortes âmes, que rien ne peut leur ravir.

Mais depuis… j’ai vu les ouvriers des villes