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je me disais que l’Ambition et la Gloire étaient chères aux jeunes hommes, et que l’existence qu’elles n’animaient pas, était uniforme et triste comme le ciel d’Angleterre.

Mais depuis… j’ai vu que l’atmosphère des grands rassemblements d’hommes était trop chargée pour que les nuages fussent purs dans le ciel qui les couvre. J’ai vu que nous étions habitués à respirer la vapeur du charbon, et que la fumée de l’industrie nous dérobait la vue de l’éther.

Depuis j’ai vu l’Intrigue grotesquement parée des attributs de la Gloire, la Compilation attachant à son front déprimé l’étoile du Génie, et la Réclame insolente, adaptant à ses talons les ailes de la Renommée. J’ai vu des rimailleurs porter, sur leurs épaules, la lyre du poète, des duellistes rêver l’illustration des guerriers, des avocats remplir leurs bouches de cailloux afin d’imiter Démosthène, des commis-voyageurs d’un ambitieux se sacrer apôtres de la République, des énergumènes de carrefour monter sur des bornes pour paraître aussi grands que Danton.

Et j’ai été fatigué du bruit de ces vols pesants qui planent sur quelques abonnés de journal. Et je me suis dit que les hommes 105 étaient bien petits ; qu’une réputation d’un jour ne valait pas le travail d’une seconde ; que les fumées du vin et les vapeurs émanant d’un corps de femme produisaient des nuages aussi brillants que ceux-là, et qu’il valait mieux encore se plonger dans la volupté que dans l’intrigue.