Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que vendus aux rois en vertu de pactes odieux, — des hôpitaux pleins et des palais vides ; — une aristocratie dédaigneuse, un peuple qui s’est livré.

Depuis, j’ai compris qu’une nation ne pouvait pas être et avoir été ; que la civilisation avait pénétré jusque dans les gorges des Alpes ; que le règne du banquier, du commerçant et du bourgeois 104 s’était étendu sur toute la terre, et que la tyrannie gouvernementale trônait dans les pays les mieux abrités. Depuis, j’ai compris qu’il n’y avait plus de nation suisse, mais que ce sol, comme tous les autres, était déchiré entre le parti du présent et celui de l’avenir.

L’étendard fédéral, les noms des grandes batailles et des grands libérateurs ne sont plus guère que des emblèmes respectés. Nous n’en sommes plus aux grandes luttes du patriotisme. La Suisse n’est plus qu’une belle nature sans voix, une statue sans âme, une femme sans amour et sans foi.

Il le fallait ainsi. Pour que la Révolution universelle s’accomplisse en Europe, elle doit saisir corps à corps tous les peuples également avancés en âge. La civilisation ne succombera pas avant d’avoir produit partout tout ce qu’elle pouvait produire.

Ce matin-là, je regardais les nuages voler sur l’azur du ciel, comme des libellules sur la surface des eaux, et je les suivais dans leur course rapide. Et je pensais à la gloire, à l’ambition, ces premiers nuages si purs qui passent sur notre jeunesse. Et