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Et puis, quand ces enfants sont devenus hommes, on leur parle soudain de fraternité universelle, de sainte alliance des peuples, et pour code de patriotisme, on leur fait lire Béranger, le poète de tous les fétichismes populaires, dans lequel ils trouvent à la fois l’exaltation du chauvinisme, des strophes à la solidarité des peuples et des apothéoses de Napoléon.

97 Cela se passe dans tous les pays, et principalement en France. C’est ainsi qu’on dispose les hommes à s’entredéchirer, et à oublier qu’ils sont tous frères par des besoins et des tendances communes. C’est ainsi qu’on recrute les esclaves du premier ambitieux ou du premier sabreur venu.

Cependant, des deux côtés de cette frontière, vivent des hommes qui se comprennent, s’accommodent du même climat, dont les mœurs et les intérêts sont les mêmes. En deçà comme au-delà de cette ligne étroite, les jeunes hommes et les jeunes filles aiment de même ; il y a les mêmes liens de famille, les mêmes cultures dans les champs, les mêmes industries dans les villes, les mêmes notions du bien et du mal, du faux et du vrai, du laid et du beau.

Et je me demandais : quoi donc durera le plus, de cette limite arbitraire, déjà tant de fois changée selon le bon plaisir des rois, ou des Alpes immenses jetées par la main de la nature entre l’Italie, l’Allemagne et la France, parce que ces peuples ont des caractères distinctifs ? Quels disparaîtront le plus vite, les forts et les octrois,