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santes machines, ses cheveux sont les baïonnettes de milliers de soldats, sa bouche est une gueule de canon toujours prête à vomir la mort ; elle a les ongles crochus de l’usurier, et ses pieds reposent sur la large base des tribunaux. Ce n’est pas nous qui verrons se dissoudre cet organisme formé par les siècles.

» Jeune homme ! moi aussi j’ai rêvé gloire. Alors j’avais vingt ans ; je lisais les histoires des brigands fameux, et mon cerveau bouillonnait dans mon crâne. Alors, j’aiguisais la lame de mon stylet sur les meulières rouges, et ma carabine n’était jamais vide. Malheur au commis qui me barrait le passage ! C’était un homme mort. Mais maintenant, j’ai trop vu de gelées blanches pour préférer l’aveugle témérité à la prudence clairvoyante. Je me fais vieux ; mes muscles d’acier se détendent, ma pensée n’a plus la même vigueur. Je redescends la pente que vous commencez à gravir, et nous nous rencontrons sur la grande route de la vie, vous tendant les bras vers l’étoile du matin, moi fléchissant les genoux vers la tombe. Poursuivons notre chemin comme la nature nous 94 guide. L’herbe pousse verte et retombe jaunie ; l’arbre s’élève et s’étale, puis son tronc retourne à la terre.

» À mesure que je deviens moins fort, je me fais plus hypocrite. Chacun pour soi et Dieu pour tous, telle est ma devise aujourd’hui. Mon seul but est de me concilier mes ennemis en les intéressant dans mes entreprises. Ainsi je vivrai plus tranquille, et je pourrai m’assurer une vieillesse hono-