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se passer de vivre. Ils jettent un regard de désespoir sur le sol entouré de murs, sur l’argent entassé dans les coffres-forts, sur le pain gardé par les grilles de fer. Ils demandent du travail, et l’on repousse leurs bras ; ils demandent de la terre, et à peine 93 on leur accorde une place dans la fosse commune ; ils demandent de l’instruction, et l’instruction ne se vend qu’à ceux qui peuvent la payer.

» Dans un pareil état de choses, ces derniers n’ont que deux partis à prendre. — Ou bien, ils serreront les poings, et se raidiront contre l’injustice qui les réduit à l’oisiveté et à l’inanition. Ils se placeront ainsi hors la loi et hors la société. Une fois engagés dans cette voie, ils ne pourront vivre que par l’excès même du vol et du meurtre. Cela les mènera droit au bagne ou à la guillotine. — Ou bien, ils tendront leurs mains suppliantes, adouciront leur voix, et se feront aussi petits que possible pour trouver l’abri d’une porte sous un palais, une monnaie de billon entre deux piles d’écus, un morceau de pain entre deux plats d’or, un passage entre deux rochers.

» Ce dernier procédé est le plus sûr. Quand on l’adopte, on en est quitte pour porter la livrée, pour laisser prélever la part du lion, pour mordre sa langue, et assouplir ses reins. D’abord cela coûte ; et puis l’habitude nous rend plus dociles que des chiens. Tenez, la vieille société est bien forte encore sous son armure de fer ; son haleine de soufre et de charbon est préparée par de puis-