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cidé à ne pas rompre le premier. Règle générale, l’homme qui a quelque chose à cacher fera bien de ne pas parler. Il est difficile de ne dire que ce que l’on veut. J’ai connu beaucoup de gens qui avaient cette prétention, et qui se sont repentis d’avoir trop présumé d’eux-mêmes. En écrivant ceci, je me gratte où cela me démange.

Au bout d’une heure de marche, Rémi, qui paraissait le chef de l’entreprise sous la raison sociale de laquelle on me transportait en Suisse, entama la conversation par cette apostrophe peu démocratique : « Quand donc, vous autres Parisiens, cesserez-vous de faire du bruit pour rien ? Chacune de vos révolutions manquées fait pleuvoir douaniers et gendarmes sur le Jura, et nos petites affaires en souffrent. Avec cela, tous tant que vous êtes, vous arrivez ici 92 sans un sou vaillant, et c’est un triste commerce que de risquer sa peau pour sauver la vôtre ».

— « Quoi ! m’écriai-je, vous, que les autres hommes traquent, emprisonnent et tuent, bandits des montagnes, vous êtes aussi contre la Révolution ? Par le ciel et la nue, par l’air libre que tu respires, par l’échine des montagnes que foulent tes pieds nus, contrebandier, tu es le complice de tous ceux qui se sont révoltés contre la civilisation, et qui veulent supprimer les barrières qui séparent les peuples. Tu es de la grande famille des êtres qui demandent une place au foyer social et dont l’activité se consume dans les dangers d’une existence réputée criminelle. Tu es le frère de l’in-