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arraché. Est-ce seulement le regret ? Est-ce déjà le remords ?

Homme sans raison, me répondit alors une voix intérieure, si tu te repens de ce qu’il te plaît d’appeler des sacrifices, reviens sur tes pas, retourne dans cette France qui t’ouvrira ses prisons, revois les rues pressées de ta ville natale où les enfants te poursuivront d’injures, cours tendre la main à des gens qui la repousseront. Rentre sous le toit paternel où tes pas seront surveillés, les pensées surprises, tes projets déjoués, et tes plus chères études troublées à tout propos. Qui te retient ? La Révolution n’a-t-elle pas assez de serviteurs, et la comptes-tu parmi ces femmes qui cherchent des amants à la faveur de la nuit ?

Alors je compris que la guerre était dans la nation comme dans la famille ; que les concitoyens et les frères et les fils et les pères étaient ennemis ; que partout, la liberté et la servitude étaient aux prises ; que le bonheur ne pouvait pas se trouver dans un pays asservi, chez des parents esclaves. Oh ! s’il existait une terre, un foyer où des hommes libres fussent réunis par l’attraction et reliés par la justice, je sens, moi proscrit, que je baiserais cette terre avec amour et que je me réchaufferais bien à ce foyer. Le cœur de l’homme est trop petit pour battre sur l’univers. Heureux ceux qui vivent dans les années paisibles où la discorde ne hurle pas au sein des villes ! Heureux ceux qui peuvent être fils, époux et pères ; et bénir la patrie sans renier le monde, sans cesser de s’estimer