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compagnons, il n’en est pas un qui ne soit son rival. — Car la maigre concurrence de l’oisiveté, de la misère, et de l’ambition sans mobile, s’est déchaînée sur eux !

Hélas ! il n’est pas de femme qui puisse lui prodiguer son amour. — Car la main qui le touche sera maudite, les yeux qui le regardent pleureront, et les joues qu’il effleure rougiront de honte.

Hélas ! il n’est pas d’homme pour qui son amitié ne devienne un fardeau. — Car il est difficile de patroner auprès du monde l’homme qui ne se recommande à ses faveurs que par la haine qu’il lui porte.

Que l’exilé reste donc ce qu’il est : un homme sans nom. Que, fasciné par de décevantes promesses, il n’aille pas compromettre son tranquille anéantissement, le seul et amer bénéfice de la proscription. Qu’il n’évoque pas lui-même, du fond de son sépulcre, l’Injure à la voix avinée, le Mépris au front chauve, le Dédain à l’œil gris, à la lèvre pincée !

81 La voix de mon cœur n’est pas étouffée cependant ; elle s’élève au contraire plus déchirante, plus impérieuse que jamais. Quoique je fasse pour la contenir, elle s’échappera, et ma douleur sera la seule jouissance que le monde ne puisse me ravir. Il me sera doux, naufragé sans espoir, de m’attacher çà et là, avec le délire que donne l’instinct de la conservation, aux rares débris de virile énergie, de passion généreuse et de vivace hon-