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vant lui, avec ses intérêts, ses émotions et son bruit métallique, comme une ironie de l’enfer.

Le désert au milieu du monde habité, le vide au milieu du trop-plein, l’inconnu dans cette Europe, dont pas un hameau n’est ignoré, l’immobilité dans le tourbillon, les ténèbres en plein soleil, un tombeau sur une scène brillante : voilà l’exil, voilà la solitude.

« L’exilé partout est seul ! »

Il faut une société à l’homme. — Les vents emportent la graine vers des rivages où elle pourra germer. L’oiseau voyageur sait où s’abattra son vol. Le commerçant, le pèlerin et le touriste, entraînés par l’intérêt et la passion, trouvent partout à qui parler, ne fût-ce qu’à des marchands abrutis, à des Dieux de pierre, à des débris de colonnes. Tandis que devant l’exilé, les routes s’allongent, le globe s’étend et tourne, tourne toujours, sans que lui puisse trouver sa direction, et savoir où il se reposera. Aussi, je ne sais quelle appréhension lointaine et indéfinissable serre la gorge de l’homme qui s’éloigne de chez lui, sans espoir de retour.

Il faut une société à l’homme. Les êtres les plus délaissés s’associent à d’autres êtres qui les comprennent : le curé à sa nièce ou à sa domestique ; — ce n’est pas moral, mais c’est naturel, et cela vaut mieux ; la vieille fille à son chien ; — ce n’est guère plus moral, et c’est infiniment moins naturel, mais cela est ; — le prisonnier s’affectionne à quelque insecte, à quelque oiseau libre