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Je ne sache en effet que les enfants-trouvés, qui soient aussi abandonné que les proscrits politiques. Et encore, l’enfant trouvé peut-il dire qu’il est venu au monde comme un champignon, sur une couche de fumier. Au moins il ne ment pas, et il se trouvera toujours quelques âmes charitables qui comprendront qu’il n’est pas coupable de l’immoralité sociale. Tandis que dans un pays qui se laisse enchaîner, il ne se trouve pas un homme qui ne considère le proscrit comme un criminel. On ne pardonne pas des leçons de fierté.

Je ne suis pas, ou je suis un autre : j’avais à choisir entre ces deux réponses, entre le suicide et le mensonge. Et comme dans notre société de voleurs affairés, on emprisonne les vagabonds et on n’a pas coutume de voir flâner les morts, il me fallait bien avoir l’air d’être quelqu’un et de faire quelque chose. Je me résignai donc à être un autre.

Pour l’exilé, plus d’amis. Les meilleurs n’honorent pas de ce titre un homme sans nom. Notre confession n’est pas écrite sur notre visage ; y serait-elle, combien peu sauraient la lire.

La seule société qui daigne accueillir l’homme sans nom, est la société sans nom qui fréquente les estaminets, refuges de l’oisiveté et sentines du vice. Nous savons bien que ces gens et ces lieux ne devraient pas exister ; nous savons que, dans une société régulière, les demeures et les consciences devraient être inondées de tranquillité, d’air pur, de soleil et de lumière. Nous savons que, 78 si ces hommes sont mauvais, ce n’est pas