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nopole ; — ni de l’instruction universitaire, qui est un privilège, ni de l’instruction obligatoire, qui est un autre privilège ; — ni de mille autres aubaines ; — ni d’aristocratie, ni de démocratie, qui consacrent toutes deux la domination de quelques-uns…

Heureux l’homme qui projette dans l’avenir ses plus justes pensées, heureux celui qui se sent attiré vers des lumières lointaines et sûres, comme le marin qui sait distinguer un phare à travers mille clartés décevantes. Il sait où il tend ; les intrigues, 72 les mensonges et les désillusions le font moins souffrir ; il devient plus indulgent envers les hommes, moins impatient dans les événements, plus ferme dans sa voie. Alors que l’équipage se mutinait contre Colomb, l’intrépide navigateur se tenait droit au pied du mât, insensible à cette révolte de matelots, comme à la rage des vagues qui mouraient à ses pieds. Il distinguait, à travers des vapeurs impénétrables pour d’autres, le Nouveau-Monde dont il allait doter l’Europe, et qui le rendrait immortel.

Mais quoi !… l’homme ne peut pas vivre étranger à son siècle. Impardonnable serait celui qui croirait racheter son inertie présente par ses rêves d’avenir. Les grands artistes furent aussi de grands guerriers.

Malheur à l’homme insensible qui, voyant la Liberté passer avec son armure de combat, dirait : « Elle ne porte pas le costume que j’avais rêvé, ce n’est pas là la maîtresse de mes pensées, »