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quenter, société de bourgeois étriqués, où l’on sentait l’avarice sordide sous la prodigalité 53 de parade, la débilité sous la graisse, le jeûne sous l’indigestion, la corde sous le satin, la trahison sous le sourire, le vieux cuivre sous une feuille d’or. Et ces gens me rendaient mes dédains, car le cœur de l’homme est un écho fidèle qui rend haine pour haine, comme amour pour amour. Peut-être au milieu des cercles de la noblesse, fussé-je devenu parfait gentilhomme ; le dégoût de la vie bourgeoise, le vague besoin de poésie qui était en moi, auraient pu m’égarer dans les rangs de ces êtres oisifs. Mon étoile m’en préserva.

Je n’aimais pas les femmes gâtées, le vin bleu, la lourde bière, les cartes et le billard qui abrutissent, les nauséabondes émanations de l’estaminet. Aussi me voyait-on rarement au milieu de mes condisciples que la politique de Louis-Philippe s’efforçait de faire tourbillonner dans un abîme de dégradants plaisirs.

Cependant, comme j’étais extrême en toutes choses, il m’arrivait parfois de boire jusqu’à l’ivresse, de chanter jusqu’à m’étourdir, de danser jusqu’à la fatigue, et de coucher dehors jusqu’à l’épuisement. Mais ces écarts duraient peu ; bientôt la satiété me ramenait à la mansarde. Alors c’étaient de longues méditations avec mes livres, d’intimes épanchements avec mes malades, d’interminables séances auprès des cadavres. Funes-