Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.

m’écriais-je, que ne suis-je le fils d’artisans laborieux et simples, imprévoyants du lendemain ? Comme eux je travaillerais, comme eux je vivrais au jour le jour. Dans les artères de l’homme le sang s’arrête-t-il jamais, comme le signe des richesses dans le coffre-fort du banquier ? Pourquoi ceux qui m’ont donné le jour ont-ils rivé leurs âmes aux pierres de leurs maisons et aux bornes de leurs héritages, tandis que ma pensée s’envole sur les fortes ailes de la Liberté ? Pourquoi ?… Est-ce leur faute à eux ou à l’engrenage de la société qui les déchire ? Les angles du caillou ne disparaissent-ils pas sous l’écume du torrent ? Je les plaindrai, mais je ne les maudirai pas : cette malédiction retomberait sur ma tête. Mais guerre jusqu’au couteau à cet ordre d’iniquité qui me donne pour ennemis les êtres que je devrais le plus chérir ! »

J’avais choisi l’étude de la médecine comme la plus appropriée à la tournure de mon esprit. Je me disais qu’à tout prendre, l’homme est meilleur dans la souffrance que dans la prospérité. Je pensais aussi qu’il est ineffable et pur le bonheur de celui qui étanche le sang, qui verse un baume sur les afflictions, un espoir sur l’abandon. Naturellement avide d’instruction et jaloux de parcourir une carrière brillante, je parvins rapidement à l’internat des hôpitaux.

Je méprisais le monde que j’étais obligé de fré-