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Courez par les campagnes, enfants ! Allez me chercher la belladone désolée qui croît sur les terrains en friche : mon âme se meurt de tristesse…

Te voilà, plante sinistre, au feuillage sombre, herbe dangereuse qui rends et détruis la santé, qui donnes le sommeil ou la mort.

Oh ! pourquoi la terre te fait-elle germer dans son sein ? Pourquoi les hommes se plaisent-ils à se rendre malades ? Pourquoi y a-t-il des médecins et des apothicaires ?

La belladone, c’est la triste image de l’exil : d’abord elle est agréable au goût, puis, amère, elle tue les imprudents qui l’ont goûtée. N’y touchez pas, enfants ! Ne la portez pas à vos lèvres roses ; vos mères mourraient en recevant vos derniers soupirs.

J’effeuillerai les pétales de la belladone noire, comme les jeunes filles effeuillent la blanche corolle des marguerites. Et je les jetterai dans le vent avec les strophes de mon récit. Qu’elles empoisonnent ou non, qu’importe ? pourvu que mon âme déborde. La société et moi, nous sommes de vieux ennemis. Je ne lui rendrai jamais blessure pour blessure.