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Hélas ! il n’est pas de patrie, il n’est pas de famille, il n’est pas de bien-aimée qui puissent nous ravir à nous-mêmes. Il n’est pas de soleil, il n’est pas d’eaux courantes qui fassent reverdir les illusions flétries ; il n’est pas de forêt assez noire, de grotte assez cachée, de fleuve assez rapide pour y perdre la douleur, et ne la revoir jamais… Homme, garde-toi de l’analyse !

Ah ! malheur, malheur sur l’exilé !

Maintenant je ne puis m’endormir, je ne puis m’éveiller sans que mon cœur déborde d’amertume. Mes nuits sont sans sommeil ; ou si je dors, le cauchemar qui déchire l’estomac, les hallucinations qui tiennent les yeux grands ouverts, les rêvasseries tracassières, les soucis qui crient aux oreilles comme des chauve-souris, m’éveillent et me tordent sur ma couche ainsi qu’un torturé du Dante. Maintenant mes jours sont dévorés par le sombre ennui et le désespoir morne. Je voudrais hâter la marche des heures, elles me semblent mille fois plus longues qu’autrefois ; je voudrais m’égarer dans les champs ou m’enfermer dans ma chambre ; je voudrais agir et méditer ; me noyer dans le travail ou m’incendier dans les voluptés ; je voudrais vivre et mourir ; être et n’être pas. Antagonisme éternel, monotone, intolérable ! Lutte d’enfer, sans but, sans gloire !… Qu’ils sont heureux, les hommes qui n’ont jamais éprouvé cela !

49 Ah ! malheur, malheur sur l’exilé !