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j’ai gravi jusqu’au sommet des monts où bondit le chamois ; je me suis étendu sur les sofas des boudoirs, sur les flots bleus des lacs et des mers ; j’ai fait saigner sous l’éperon les flancs du coursier rapide ; j’ai sacrifié les bêtes des champs à ma soif de bonheur… Et toujours le bonheur a fui loin de moi.

Ah ! malheur, malheur sur l’exilé !

Qui me rendra ces temps où je ne voyais dans la vie que des jeux ; dans les prés, que des fleurs. Oh ! qui me rendra les jours 48 de ma première enfance ! Alors, c’était la joie dans les baisers de ma mère, dans les bras de mon père, dans les jeux avec les enfants de mon âge, dans les caresses d’un chien ; la joie au coucher, la joie au réveil, la joie toujours. Alors je croyais à la bienveillance du genre humain, parce que les hommes m’embrassaient quelquefois, et que les femmes passaient la main dans mes cheveux. Alors je croyais au bonheur, parce que l’analyse aux doigts maigres n’avait pas effeuillé la fleur si fraîche de mes illusions… Et maintenant…

Ah ! malheur, malheur sur l’exilé !

Homme, garde-toi de l’analyse. Le chagrin est au bout de tout examen trop approfondi de soi-même, comme la lie dans le fond de la liqueur pure. Ce vautour s’acharne à l’homme, il glace son ardeur et boit son sang. Où trouver le repos quand l’âme est triste et qu’il faut toujours la porter ?