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Je serais curieux de paraître sous le voile de l’anonyme. Je voudrais savoir à quel auteur célèbre on attribuerait mon livre. Je me réjouirais de l’embarras de ce pauvre homme, qui n’oserait ni accepter la responsabilité de mes paradoxes, ni décliner le mérite d’avoir été original.

Car j’ai déjà pesé ce livre, et je l’ai trouvé remarquable, dans un siècle où personne n’ose penser comme moi. Le jugement du public est le cadet de mes soucis. Le public n’est-il pas fait pour nous divertir ?

Gloire à toi, liberté !

Mon but a été d’être lu par tous les peuples avec un égal intérêt. 44 Je ne me suis absorbé dans la vie nationale d’aucun. Mon existence errante m’a permis d’en voir beaucoup. La seule langue que j’écrive à peu près correctement est la plus répandue en Europe. Les Français sont favorisés dans leur ignorance.

Je pose la première pierre de l’édifice qu’élèveront les hommes en échangeant leurs pensées d’un bout du monde à l’autre. Je romps avec la tradition littéraire française. Les peuples marchent à la rencontre les uns des autres. Qu’ils se tendent les bras ou la pointe des glaives, il faut qu’ils aient une langue commune. Et comme la pensée précède la langue, je cherche à interpréter la pensée des peuples à cette heure solennelle.

(23 mars 1854). Voici venir le printemps. Voici que les bourgeons poussent aux arbres, voici que