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Moi, j’écris une page à Madrid, une autre à Londres, une autre en diligence, dans un bateau à vapeur, dans une auberge, à Paris, quand j’y suis caché, à Lausanne, à Bruxelles, sur une table boiteuse, sur une pierre, sur mon genou, dans mon lit, quand il fait trop froid. C’est malgré tout que je me fais imprimer. S’ils le savaient, mes parents en feraient une maladie. Et quand je paraîtrai, la proscription hurlera. Et puis, l’on m’enveloppera dans un linceul. Et puis, les polices impériale et démagogique, qui m’oubliaient un peu, recommenceront à m’honorer de leur sollicitude. Voilà ce que j’aurai gagné.

Soit : dans quelque position qu’il se trouve, que l’homme ne laisse point paralyser son cœur, et les aiguillons ne lui manqueront pas. L’exil n’abat que ceux qui veulent bien se laisser déprimer ; il relève les natures qui se raidissent. Je me cramponnerai dans le roc de la résistance jusqu’à m’ensanglanter les ongles ; je chercherai la volupté dans l’excès de la réprobation.

Gloire à toi, liberté !

L’on me demande : pourquoi n’avez-vous pas écrit en vers ? Je réponds : Parce que, si j’ai l’âme du poète, je n’ai pas la patience du rimeur, — parce que le temps n’est pas aux modulations, — parce que l’inspiration poétique ne consiste pas dans la prosodie, — parce que de grands poètes, le Psalmiste, Ézéchiel, Jésus, Mahomet, Bouddha, Saint-Jean, ont écrit en prose ; — parce que les