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et dix doigts qui se fatiguent si vite ? Je voudrais tout dire à la fois, mais il y a tant à dire ;… je n’ai pas 40 le temps d’être complet. Je voudrais présenter mes pensées dans toute leur lumière ; mais les événements qui se pressent les font naître trop nombreuses ; je n’ai pas le temps d’être correct. Je regrette d’écrire en tirailleur. Je voudrais ne faire qu’un livre dans toute ma vie, et peser chacune de mes paroles. Ainsi je me résumerais. Je n’ai pas le temps de me connaître à fond.

Une irrésistible puissance me force à dire vite et confusément ce qui doit se passer confusément et vite. J’écris sur les ruines d’un monde ; comment ne serais-je pas agité ? J’annonce l’universelle anarchie : quel ordre pourrais-je observer ?

Voyez l’oiseau des naufrages. Son vol est irrégulier, son cri perçant, son aile aiguë. Il fond sur la vague, il vit seul et triste. On ne parle de lui qu’à propos de malheurs ; lui seul se réjouit de ce qui fait trembler tous les êtres. Il faut cependant que tout soit chanté, que tout soit peuplé ; la tempête, le chaos et les révolutions.

Je suis l’oiseau des naufrages. Je ne suis effrayé ni du soulèvement de l’océan humain, ni du choc des générations et des races. Je livre mon aile aux vents furieux, et sur chaque ville qui tombe, je voltige, poussant un cri sinistre.

Gloire à toi, liberté !

Écrivains entourés de toutes les commodités du luxe ! — Vous qui travaillez au coin d’un feu pé-