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der un certain nombre de pages ; en retour, j’ai le droit de lui demander un certain nombre d’appréciations. Je ne puis pas exiger de lui qu’il approuve mes idées ; il ne peut pas exiger de moi que j’approuve ses préjugés. Je lui livre des sensations, il m’en rend ; voilà tout. Que si je partageais les opinions banales, il serait tout à fait superflu que j’écrivisse. J’ai besoin de m’entretenir avec le monde, mais je ne veux pas être son esclave. Tant pis pour ceux qui lui adressent des introductions suppliantes ; ils autorisent son insolence. Je ne flatterai jamais la foule ; c’est le moyen de me faire respecter par elle.

Gloire à toi, liberté !

La Révolution m’a donné la fièvre ; je ne m’en plains pas, et je ne prie personne de m’en plaindre. Mais je ne puis pas exiger 36 non plus que tout le monde ait la fièvre. Vouloir que les civilisés se passionnent pour la révolution sociale, c’est présenter de l’eau à des chiens hydrophobes.

Les bourgeois me liront et diront : « C’est une horrible souffrance que le délire ! Voyez : cet homme est jeune, et déjà ses mains sont sèches, ses oreilles tintent, ses yeux sont pleins de sang ; la tempête des idées s’est déchaînée dans son crâne, et son crâne gémit comme un abîme profond. Lamentable destinée ! »

Et si je leur disais que la fièvre grandit, qu’elle centuple l’existence, qu’elle parcourt les siècles en quelques heures : — ils riraient. Si je leur disais